Tatouages japonais, à fleur de peau
En Occident, les tatouages japonais connaissent un engouement sans pareil. Majestueuses koi, délicates fleurs de sakura, envoutantes geisha, autant de motifs sublimes, connus et admirés. Mais êtes-vous déjà tombés sous le charme d’un « sourire » tatoué ? Avez-vous déjà serré une main ornée d’étrangetés géométriques ? Entre Hokkaido et Okinawa, le Japon nous réserve quelques singularités que Madame Mo vous propose de découvrir. Retour dans le temps au pays des irezumi !
IREZUMI, JE T'AIME MOI NON PLUS !
L’histoire du tatouage au Japon est aussi longue et sinueuse que le fleuve Shinano, mais pas aussi paisible ! Aux environs de 300 avant notre ère, les tatouages (irezumi) sont décoratifs et spirituels mais évoluent assez vite vers des tatouages effectués, de force, sur le bras ou le front des criminels en guise de punition.
Roshi Ensei, un sumo faisant partie des 108 héros du Suikoden, le corps recouvert d’un irezumi
Puis arrive le roman Suikoden, « Au bord de l’eau » qui narre des histoires d’aventuriers rebelles et courageux, le tout illustré par des gravures sur bois qui représentent le corps de ces fiers guerriers ornés de fleurs, de tigres et de dragons....C’est un succès littéraire qui permet de remettre le tatouage au goût du jour avec une connotation plus positive !
Du coup, les japonais commencent à se faire tatouer pour l’aspect esthétique mais aussi comme signe d’appartenance ou comme protection contre les mauvais esprits. Alors que le tatouage devient populaire dans les milieux mafieux, les artisans tatoueurs fignolent leur art sous le regard admiratif des étrangers en voyage au Japon.
Photo @ kip fulbeck
Et puis, durant l’ère Meiji (1868 – 1912), le gouvernement japonais décide que ces ornements corporels ternissent l’image du pays et décide donc de les interdire, tout simplement. Mais en 1948, revirement de situation, le tatouage est à nouveau légalisé même s’il est toujours fortement associé aux mafieux japonais, les Yakuza.
Aujourd’hui, voir des tatouages est encore source de malaise car ils sont encore associés au monde du crime. Certains établissements comme piscines, sources thermales etc... n’hésitent d’ailleurs par à refuser l’entrée à des clients tatoués.
Alors qu’en Occident le tatouage connaît un succès croissant, les artistes tatoueurs au Japon deviennent des espèces en voie de disparition ! On n’en compterait plus que 300 en activité, résultat des années de répression du gouvernement. Mais qu’ils soient rassurés, de ce côté-ci du globe, l’admiration que l’on porte à leur art reste intact !
GARDEZ LE SOURIRE !
Dans le nord du Japon, sur l’île d’Hokkaido, vit un peuple autochtone à l’histoire riche et bousculée, les Aïnu (prononcez « Aïnou »). Après de nombreuses batailles pour défendre ses traditions, sa culture, sa langue, le peuple Aïnu a été assimilé de force au reste du Japon et a perdu son identité si particulière. Parmi les traditions qui ont été interdites par le gouvernement japonais figure celle du tatouage qu’on retrouvait plus particulièrement sur les femmes Aïnu.
Photo by Three Lions/Getty Images
A partir de leur puberté et jusqu’à leur mariage, la bouche des filles était tatouée d’un motif composé de points et de lignes qui entouraient les lèvres. Puis, le jour de leur mariage, leur fiancé complétait ce tatouage en reliant les points pour dessiner un large sourire tout autour de la bouche de leur épouse. On reconnaissait donc les femmes mariées à leur grand sourire tatoué.
Elle portaient également des tatouages au dessus des sourcils à la manière d’un maquillage et d’autres, sur les avant bras. Ces derniers, faits de motifs géométriques curvilignes ne devaient en aucun cas être être vus par les hommes sous peine qu’un grand malheur n’arrive !
Photo by Three Lions/Getty Images
Outre leur rôle social et esthétique, ces tatouages symbolisaient la résistance et la fécondité des femmes, les protégeaient, elles et leurs familles et leur assuraient une vie dans l’au-delà auprès de leurs ancêtres. La dernière femme Aïnu à porter ces tatouages traditionnels est décédée en 1998.
Aujourd’hui, alors que les derniers Aïnu se mobilisent pour faire reconnaître la richesse de leurs traditions ancestrales, certaines femmes se parent encore de tatouages temporaires lors de cérémonies ou de festivals.
BONS BAISERS D'OKINAWA
Comme leurs cousins Aïnu, les habitants de l’île d’Okinawa, dans le sud du Japon, étaient eux aussi adeptes de la pratique des tatouages.
La légende raconte qu’un jour, un riche japonais s’était mis en tête d’enlever la princesse des îles Ryukyu (dont fait partie l’île d’Okinawa). Déterminée à rester parmi les siens, la princesse aurait secrètement tatoué ses mains et ses bras avec un colorant pourpre, faisant croire à son ravisseur qu’elle était porteuse d’une terrible maladie de peau. Il déguerpit aussi sec ! Le tatouage serait alors devenu à la mode parmi les femmes insulaires et chaque famille aurait créé son propre motif.
Les Hajiti, tatouages traditionnels d’Okinawa, se pratiquaient pendant les préparatifs de mariage sur les poignets et le dos des mains des femmes, doigts et articulations compris. Une aiguille en bambou était utilisée pour tatouer des motifs géométriques inspirés par les îles, les oiseaux, les toiles d’araignées, les écailles des tortues, les pistils des fleurs....Un des motifs les plus communs était un motif de flèches : la tête des flèches pointait vers le bout des doigts, signifiant ainsi un engagement sans retour, notamment sur le mariage.
A Okinawa, les femmes étaient souvent des chefs religieux et des guérisseuses avec un pouvoir spirituel plus important que celui des femmes qui vivaient sur le continent. Leurs tatouages Hajiti célébraient cette force et ce statut particulier. Mais en 1899, le gouvernement de Meiji a interdit la pratique des Hajiti sur l’île d’Okinawa dans le but d’homogénéiser le pays....Et les tatouages commencèrent à disparaître entrainant dans leur spirale vers l’oubli, les chants, les danses et les traditions d’Okinawa ....
D’Okinawa à Hokkaido, de nombreuses ethnies japonaises ont perdu leurs traditions ou ont complètement disparu. Malgré l’intérêt nouveau que le gouvernement japonais leur porte, arriveront-ils à retrouver l’essence de leurs origines ?