En 3 vers tout est dit !
Avec l’arrivée de sa collection Haiku, Madame Mo met à l’honneur en ce début d’année cet art littéraire venu tout droit du Japon… nouvelle facette de ce pays dont la culture ne cessear jamais de nous enchanter et de nous inspirer.
C’est aussi l’occasion idéale de mettre en lumière une artiste, Édith Silva, qui écrit des haïkus délicats illustrés de petits dessins adorables (vous pouvez découvrir son recueil illustré sous la forme d’un carnet de voyage publié aux éditions Sully : Le Japon, 100 instants de voyage). Madame Mo a eu le grand plaisir de s’entretenir avec elle !... Et pour l’anecdote, Edith est l’artiste qui a fait découvrir les haiku à Madame Mo !
Petit quizz pour commencer : savez ce qu’est un haïku ?
Madame Mo vous laisse quelques minutes et relève les copies ! Non non rassurez-vous, vous n’êtes pas de retour sur les bancs de l’école ! Voici en quelques mots ce qu’est l’haiku : un haïku c’est un poème très court de 5-7-5 syllabes, qui cherche à saisir l’instant présent, à concentrer une émotion, un sentiment, comme pour le garder dans un petit écrin que chacun pourrait ensuite ouvrir afin d’en capturer l’essence. Il doit généralement comporter un kigo, mot de saison qui permet d’ancrer le haïku dans un moment précis du cycle des saisons (elles-même découpées en micro-saisons au Japon), et un kireji, césure qui peut jouer différents rôles, de la surprise au changement d’image, de point de vue, une dynamique qui rend le haïku très visuel et vivant.
Rencontre avec Édith Silva, une poétesse amoureuse du Japon.
Ta première rencontre avec le haïku, c'était quel auteur, quel ouvrage... et quel haïku ?
C’était en 2016, lors de mon voyage au Japon. J’avais emmené comme livre pour m’accompagner « Oreiller d’herbe ou le Voyage poétique » de Natsume Sōseki. C’est l’histoire d’un jeune peintre errant dans la montagne, qui se questionne sur sa place dans la société. Il passe quelques nuits dans une auberge où réside une jeune femme mystérieuse. Ayant l’habitude d’écrire des haïkus sur ce qu’il voit et ressent, il retrouve un matin certains de ses petits poèmes subtilement modifiés et devine que c’est elle.
Ce qui m’a tout de suite plu dans le principe du haïku, c’est qu’il créait une rencontre intéressante tout en étant très brève : chacun délivre directement quelque chose de personnel à un inconnu, sa perception du monde, en quelques mots, avant même de se parler.
Ce passage m’a rappelé celui-ci du Petit Prince (l’un de mes livres de chevet) : « Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d'un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l'essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu'il préfère ? Est-ce qu'il collectionne les papillons ?" Elles vous demandent : "Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ?" Alors seulement elles croient le connaître. ».
J’ai trouvé que ces deux grandes personnes là, au contraire, savaient accorder de l’importance à l’essentiel. J’ai réalisé par la suite que c’était quelque chose de très japonais. Je me suis reconnue dans cette sensibilité.
Tu mêles dessins et haïkus. Qu’est-ce que le haïku apporte que le dessin ne peut pas transmettre (et inversement) ?
C’est une bonne question. Un haïku juste est censé devenir une image et un dessin réussi doit pouvoir se passer de mots… Mêler dessins et haïkus me permet en fait de connecter deux parties de moi : la main à la pensée, l’humour à la mélancolie. Je me sens entière en procédant de la sorte, équilibrée.
Et puis, c’est aussi une manière de lier tous les poèmes entre eux, d’écrire une histoire – celle de la fillette au chignon qui apparaît quasiment à chaque fois. Au fil des haïkus on s’attache à elle, on se remémore ce qu’elle a déjà vécu, ressenti. Cela accentue cette conscience du temps qui passe, « mono no aware » comme disent les japonais.
Enfin, je trouve que cela rend plus accessible l’univers de la poésie. Certaines personnes n’auraient jamais lu de poèmes (même les plus courts du monde !) s’il n’y avait pas le dessin pour prendre les devants, les amuser d’abord… Deux univers se rencontrent, deux lectorats : celui de la poésie et celui de l’image/la bande dessiné/l’illustration. Les gens qui s’intéressent à mon travail viennent de tous les horizons, de tous les âges. Cela me plait beaucoup et je crois que cette association y est pour quelque chose.
Ton ou tes haïkus préférés, que tu connais par cœur, qui t'accompagne au quotidien ?
Je ne me récite pas quotidiennement certains haïkus, comme des mantras, je n’en connais pas vraiment par cœur. Par contre voici les premiers qui m’ont marquée lorsque j’ai découvert cette forme de poésie et que j’enchaînais les livres. Un aspect particulier m’a touché dans chacun d’eux :
-
Je quitte le temple zen –
J’entre
Dans la nuit étoilée
De Masaoka Shiki
Dans celui-ci, c’est la perception positive et philosophique de l’auteur, le fait qu’il voit le dehors comme un dedans. Je trouvais que c’était l’équivalent de notre « verre à moitié plein ». On n’est jamais nulle part…
-
mes cheveux lavés
des gouttes
partout où je vais
De Takako Hashimoto
J’ai trouvé celui-ci mignon, digne d’un regard d’enfant. Je visualise bien ces gouttes comme des petits pas qui suivent l’auteure. Quelque chose du quotidien, d’aussi banal, s’anime tout à coup…
-
dans la montagne
les fourmis elles aussi
cheminent
De Taneda Santôka
Ici le fait que l’auteur se mette à égalité avec les autres êtres vivants, aussi petits soient-ils, m’a émue. La montagne n’en devient que plus gigantesque et majestueuse, à hauteur de fourmis. Adopter d’autres points de vue me semble essentiel de manière générale dans la vie.
-
une fleur tombée
remonte à la branche !
un papillon
De Arakida Moritake
Un tour de magie en neuf mots ! J’y ai vraiment vu le challenge du minimalisme, de raconter quelque chose avec le moins de mots possible ! Il n’y a rien à enlever. Ne garder que l’essentiel d’un instant c’est un beau concept, surtout à l’époque de la surconsommation en tous genres.
-
abeille, pourquoi tu
me fixes ?
j’suis pas une fleur !
De Jack Kerouac
Là c’est surtout la découverte qu’un auteur américain de la Beat Generation (mouvement littéraire dont je me suis beaucoup nourris pendant l’adolescence) se soit aussi emparé de cette pratique qui m’a surprise et enthousiasmée. Il y a ajouté son ton, son rythme. Je me suis dit qu’il n’y avait décidément pas de hasard si j’en étais arriver au haïku, que même en tant qu’étrangère je pouvais m’y essayer et ajouter ma touche personnelle.
L’humilité des regards, l’accessibilité de la beauté, le ressourcement dans la nature, le jeu du minimalisme… Ces haïkus ont été les premiers à m’inspirer et à me décider d’essayer ! Je leur en suis très reconnaissante !
Et un des haïkus que tu as écrits qui te tient particulièrement à cœur ?
Trop difficile d’en choisir un seul ! Car de la même façon, ce sont différents aspects qui me tiennent à cœur dans les haïkus que j’écrits. En voici quelques uns :
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Pour la positive attitude, la drôlerie de la situation :
déjeuner sur un banc
je perds une miette
et gagne quatre chats
Issu du recueil illustré de haïkus « Le Japon, 100 instants de voyage » paru aux Éditions Sully
-
Pour le ralentissement du temps, l’appréciation d’activités simples du quotidien :
au petit matin
écoutant les bruits du monde
à côté du chat
la théière siffle
il est temps de boire un thé
d’arrêter le temps
Issus d’un recueil illustré de haïkus et tankas sur les quatre saisons, en cours d’écriture (sur plusieurs années)
-
Pour la valorisation des liens humains, des petits gestes altruistes :
ticket non valide
le temps d’en racheter un
on retient la porte
mère et fille ensemble
dans le métro du matin
tête contre tête
Issus du recueil illustré de haïkus et tankas dans les transports en commun « Passagère », en quête d’éditeur
-
Pour le sentiment d’appartenance à un tout, parce qu’en tant qu’êtres humains, on fait partie de la nature, on n’est pas le centre du monde :
le soleil se lève
dans mon recoin de ce monde
je me lève aussi
regardant le ciel
le sentiment de parlé
à un vieil ami
Issus du recueil sur les quatre saisons en cours d’écriture
-
Pour la beauté tantôt immuable tantôt éphémère de la nature, le fait qu’on ai pas besoin de grand chose pour vivre bien et en harmonie avec elle :
vue du train
le paysage défile
la montagne reste là
Issu du recueil « Le Japon, 100 instants de voyage »
tout sec le trottoir
moi je n’ai pas oublié
la neige d’hier
feu de cheminée
les plus petite maisons
vite réchauffées
Issus du recueil sur les quatre saisons
Connais-tu les koinobori ? Qu'évoquent-ils pour toi ?
Oui je connais un petit peu. Ils appartiennent à une fête traditionnelle : la journée des enfants (originellement journée des petits garçons je crois). À l’occasion, des carpes koi en tissu sont hissées en banderoles car - il me semble - sachant nager à contre-courant, elles sont symbole de persévérance, d’endurance et de vitalité - des qualités jugées honorables pour les garçons et finalement pour tous les enfants.
Ce que cela m’évoque… beaucoup de poésie évidemment ! Après tout ce jour là on permet aux poissons de voler avec les oiseaux ! Je suis toujours touchée aussi par cette habitude japonaise de s’inspirer de la nature et d’emprunter des qualités aux mondes animal ou végétal. Ils s’en servent comme modèles, c’est très honorable et humble de leur part.
Les haïkus utilisent des mots de saison - kigo -, pourrais-tu nous donner ton kigo préféré pour chaque saison ? Quels souvenirs y sont associés ?
Printemps : « rose »
La couleur rose, celle de l’apparition des fleurs, surtout celles des cerisiers – les fameux sakuras - que j’ai eu la chance de voir deux fois au Japon, mais également la couleur de l’enfance, du commencement, de la naïveté et la gourmandise… Aussi douce et sucrée que la première saison !
Été : « orage »
Le tonnerre qui gronde au loin, qui s’approche et tout à coup la grosse averse qui s’écrase sur nous. Être trempé sans avoir froid. Bras et jambes nus sous la pluie chaude. Cette sensation d’euphorie liée à cette saison où tout est possible, où il y a moins de règles… et puis la percée du soleil dans le ciel gris et l’odeur du sol mouillé.
Automne : « fumée »
Celle des cheminées qu’on rallume progressivement, qui s’échappe des maisons, se lie parfois à la brume ; celle du thé qu’on vient juste de préparer, pour soi mais aussi pour un proche qui nous rend visite. Le ralentissement et l’appréciation de moments plus intimistes en intérieur. Une saison que j’apprécie de plus en plus…
Hiver : « immobilité »
Se réveiller la nuit et voir à travers la fenêtre, tombés sous un réverbère, de gros flocons. Au matin, silence. Tout s’est figé sous la neige. Le bruit des voitures et des pas qui s’efface, les couleurs aussi, le ciel et le sol s’unissent. Une étendue de blanc. À notre époque qui s’agite et se réchauffe, ça devient rare. Pendant encore combien d’années pourront nous voir ce spectacle de l’immobilité ?
Pour Madame Mo, les haiku, ces petits poèmes en 3 vers, sont autant d’invitations à la méditation, à la reconnexion à l'instant, à l'observation de ce qui nous entoure, comme le souffle du vent, la lumière, la caresse du soleil sur notre visage. Les Haiku c'est tout cela à la fois !
Pour Edith, ce qui la touche dans les haiku c’est L’humilité des regards, l’accessibilité de la beauté, le ressourcement dans la nature, le jeu du minimalisme…
Et vous, écrivez-vous des haïkus ?N’hésitez pas à nous les communiquer, Madame Mo sera ravie de les diffuser.
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